Le Telegraph-Journal a remporté le Prix Michener 2018 pour le journalisme d’intérêt public pour sa série «Sounding the Alarm».
Le quotidien de Saint-Jean, N.-B. a révélé qu’en raison d’une pénurie critique de personnel paramédical, des ambulances demeuraient inutilisées au Nouveau-Brunswick. La situation était telle qu’elle avait des conséquences de vie ou de mort pour la population : au moins une personne est décédée.
«Il y a eu plusieurs candidatures exceptionnelles pour le Prix Michener cette année — du travail percutant qui a dévoilé des cas de corruption politique, donné la parole aux sans-voix et changé les lois — mais aucune n’a autant contribué à transformer les choses que cette série», a affirmé Alan Allnutt, président de la Fondation des prix Michener. «Cela a été un enjeu majeur de l’élection provinciale de 2018 et a marqué l’arrivée d’un nouveau gouvernement provincial promettant une refonte en profondeur du service ambulancier.»
Son Excellence la très honorable Julie Payette, gouverneure générale du Canada, a remis le Prix Michener au Telegraph-Journal, lors d’une cérémonie tenue à Rideau Hall à Ottawa le 14 juin. Le Prix Michener honore, célèbre et encourage l’excellence du journalisme canadien qui a un impact sur l’intérêt public.
« Le Telegraph-Journal, un quotidien publié à Saint-Jean depuis 1862, est une entreprise modeste à certains points de vue, avec environ 10 reporters et rédacteurs dévoués », a fait remarquer la présidente du jury, Margo Goodhand. « Mais le travail de reportage de l’équipe, pilotée par le reporter d’enquête Michael Robinson, a réussi à faire du service ambulancier un enjeu incontournable de la campagne électorale de l’automne de 2018. »
La série débute avec le récit de personnes requérant des soins d’urgence ayant dû être transportées en voiture par des témoins dévoués parce des ambulances stationnées à quelques pas de là n’étaient pas en service. Et à mesure que l’enquête progressait, malgré l’obstruction et la désinformation, on apprenait que les heures supplémentaires explosaient à cause de la pénurie de personnel, les blessures et les problèmes de santé mentale parmi les travailleurs de première ligne. En annonçant la refonte du service ambulancier en 2018, le nouveau gouvernement a cité la couverture du Telegraph-Journal.
«Voici un exemple d’excellence en journalisme d’intérêt public», a déclaré Margo Goodhand.
Des mentions d’honneur
Des mentions d’honneur ont été décernées à CBC Television News (The Fifth Estate); The Waterloo Region Record; St. Catharine’s Standard; CBC North; APTN; et une mention conjointe à CBC/Toronto Star/Société Radio-Canada.
CBC Television News: Unbuckled — School Bus Safety (Détaché – La sécurité dans les autobus scolaires)
Depuis des décennies, les parents se demandent pourquoi n’y a-t-il pas de ceintures de sécurité à bord des autobus scolaires? Transport Canada prétend depuis plusieurs années que les autobus sont en fait plus sécuritaires sans elles. Grâce à cette enquête de cinq mois, The Fifth Estate a découvert des failles dans une étude charnière de 1984 à la suite de laquelle les autobus scolaires en Amérique du Nord n’ont pas été équipés de ceintures de sécurité depuis plus de 30 ans. On a établi une banque de données à partir de douzaines d’études et de revues spécialisées et révélé que les fabricants d’autobus scolaires avaient exercé des pressions contre les ceintures de sécurité pour réduire leurs coûts. On a découvert que Transport Canada avait même conclu il y a huit ans que plusieurs décès et des milliers de blessures auraient pu être évités si les autobus scolaires avaient été munis de ceintures. Le ministre des Transports Marc Garneau a mis sur pied un groupe de travail pour étudier la question. L’Ontario School Bus Association s’est prononcée en faveur des ceintures de sécurité à trois points. Et, à partir du 1er septembre 2020, les ceintures de sécurité seront obligatoires à bord des autocars de moyenne et grande taille au Canada.
The Waterloo Region Record: Rubber Town (La ville du caoutchouc)
Greg Mercer du Waterloo Region Record a passé des mois à enquêter sur les déchets toxiques laissés par l’industrie du caoutchouc jadis florissante de Kitchener. Il a découvert un modèle troublant de cas de travailleurs qui ont souffert de cancers ou de maladies pulmonaires après avoir été exposés à des agents cancérigènes, mais dont les demandes d’indemnisation ont été refusées. Greg Mercer s’est servi de documents publics pour démontrer que 85 pour cent des demandes d’indemnisation ont été refusées sur la base de données scientifiques dépassées, laissant dans le besoin des travailleurs, des veuves et des familles. Alors que les entreprises de caoutchouc, les syndicats et plusieurs travailleurs ne sont plus là, le journal est devenu l’avocat de ces victimes et de leurs familles. La série a poussé la commission ontarienne de compensation des accidents du travail à réviser les dossiers de plus de 300 travailleurs dont les demandes d’indemnisation avaient précédemment été refusées. Maintenant, grâce au travail d’un seul reporter au sein d’une petite salle de rédaction, plusieurs de ces demandes ont été approuvées.
St. Catharines Standard — All the Chair’s Men (Tous les hommes du comité)
À la suite d’une enquête d’un an, le reporter Grant LaFleche a dévoilé un complot pour manipuler l’embauche du plus haut fonctionnaire de la Région de Niagara, ainsi qu’un contrat secret d’une valeur de plus d’un million de dollars. Fuites de documents, sources confidentielles, courriels cryptés — tous les éléments d’un film de suspense y étaient. Mais ce n’était pas de la fiction. Cette enquête d’envergure du Standard a été un exemple typique du travail acharné d’un reporter déterminé à mettre en lumière tous les aspects d’une affaire de politique régionale douteuse. Ne se laissant pas intimider par la critique publique visant à discréditer son reportage, Grant LaFleche et ses patrons ont refusé de reculer et ont continué à fouiller. Plus de 50 articles ont été publiés sur le sujet, déclenchant une enquête de l’Ombudsman de l’Ontario sur la politique de la Région de Niagara et contribuant à infléchir les résultats de l’élection municipale de 2018.
The Toronto Star, CBC News, Société Radio-Canada: Le dossier des implants
En collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation, une équipe formée du Toronto Star, de CBC News et de Radio-Canada a dévoilé le laxisme du système canadien d’approbation, de régulation et de surveillance des implants médicaux. L’enquête a notamment découvert qu’on continue d’avoir recours à certains implants au Canada des années après qu’ils aient été bannis ailleurs en raison des risques pour la santé, et que l’information publique concernant de sérieux incidents médicaux à cet égard est gardée secrète. Depuis 2008, on compte au Canada 1 400 personnes qui sont décédées et 14 000 autres qui sont tombées malades en raison d’implants défectueux. Santé Canada a approuvé la mise en marché d’implants mammaires aujourd’hui associés au développement de maladies auto-immunes et à une forme rare de cancer. Cette enquête a produit une base de données concernant plus de 160 000 cas d’incidents reliés à des implants. La diffusion de dizaines de reportages d’actualités et d’affaires publiques a eu pour conséquence quasi immédiate l’annonce par le gouvernement fédéral d’une réforme complète et ambitieuse du système règlementaire encadrant les implants médicaux. En outre, Santé Canada a mis fin à la vente d’implants mammaires texturés.
APTN: Life and Death in Care (Vie et mort en foyer d’accueil)
CBC North: Righting the Wrongs for Youth in Government Care (Réparer les torts causés aux jeunes pris en charge par le gouvernement)
Les journalistes de CBC North et d’APTN ont déroulé le fil d’Ariane, en couvrant des cas de jeunes autochtones tombés entre les mailles du système de protection de la jeunesse, pour en exposer les failles systémiques.
Des jeunes vivant dans des centres d’accueil administrés par le gouvernement du Yukon sont entrés en contact avec la journaliste Nancy Thomson pour lui faire part de cas d’abus physiques et de négligences dont ils avaient été victimes. Elle a enquêté sur ces histoires et son travail a éventuellement mené à des enquêtes par le ministère de la Santé et des Services sociaux et par le Bureau de l’ombudsman des enfants du Yukon. Le gouvernement du Yukon a présenté des excuses publiques à ces jeunes – et à la population – pour ces manquements à les protéger, et annoncé une série de mesures correctives.
Les journalistes Martha Troian et Kenneth Jackson, du réseau APTN, ont fait preuve de la même détermination, après avoir rapporté le suicide d’une adolescente de la communauté de Poplar Hill, Kanina Sue Turtle, qui avait filmé sa propre mort alors qu’elle était en maison d’accueil. Ils ont ensuite creusé pour exposer le lien entre le taux élevé de suicides parmi les jeunes autochtones – de cinq à six fois plus élevé que chez les jeunes non-autochtones – et le système de protection de la jeunesse. APTN a mis en évidence l’absence d’un système de suivi du taux de suicides dans cette population. Ils ont aussi démontré que les sociétés d’aide à l’enfance ne fournissent pas les données qui permettraient de connaître le nombre de jeunes autochtones retirés à leur famille.
En février 2018, Ottawa a déposé la Loi C-92 visant à renverser la sur-représentation des enfants autochtones en foyers d’accueil. Cette législation ne pourra atteindre son objectif sans un système de suivi adéquat.
Les juges pour le Prix Michener 2019 :
Le jury du Prix Michener 2018 est composé de la présidente Margo Goodhand, ex-rédactrice du Winnipeg Free Press et du Edmonton Journal, Pierre Tourangeau, ex-ombudsman et chef des nouvelles de Radio-Canada, Sally Reardon, ex-directrice de l’information à CBC-TV, Katherine Sedgwick, professeure de journalisme au Collège Loyola et ex-éditrice adjointe du Montreal Gazette, Pierre Asselin, ex-éditorialiste du quotidien Le Soleil, et Mary McGuire, professeure de journalisme à l’Université Carleton.
Les juges pour les bourses Michener-Deacon 2019 :
Donna Logan (présidente du comité de sélection), ancienne haute dirigeante à l’information de CBC et directrice fondatrice de l’École de journalisme à l’Université de Colombie-Britannique;
Dean Jobb, professeur à l’Université de King’s College, auteur, ancien reporter, rédacteur et chroniqueur;
Connie Monk, directrice du programme de journalisme parlé et en ligne à BCIT, ancienne journaliste et réalisatrice à CBC;
Geneviève Rossier, directrice des communications, relations publiques et visibilité numérique à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, ancienne directrice des communications, marketing et contenus numériques à La Place des Arts; et
Romayne Smith Fullerton, professeure associée, Faculté d’information et études des médias, Université de Western Ontario, et responsable de l’éthique à J-Source.
Le Prix Michener 2018
Afin de mettre en valeur le journalisme d’intérêt public exceptionnel et impartial, ce prix est décerné à des entreprises d’information plutôt qu’à des individus : journaux, stations ou réseaux de diffusion, périodiques, magazines et entreprises de journalisme en ligne.